JURIDIQUE, EPIDEMIOLOGIE OU … MEDECINE ? ÉPIDÉMIOLOGIE et JURIDIQUE
voici les 2 maîtres mots des médecins en ce début de 3ème millénaire ! Qui l'eût cru ? Et notre médecine dans tout ça ?
Il n'est pas question de nostalgie de la "médecine de Papa", que je n'ai d'ailleurs pas connue pour ma part. Je suis d'accord pour évoluer, bien sûr ! Mais là, je vous avoue que le vertige me prend. Quoi ? Je n'ai encore rien vu - qu'entends-je ? - Que les dieux tout-puissants nous préservent de telles calamités !
Le juridique, le médico-légal, convenons-en, de plus en plus présent dans notre quotidien. D'accord pour le juridique. D'accord, vous dis-je ! Mais de grâce avec modération ! Peut-on faire notre métier la « trouille » légale au ventre ? Si oui, alors nous oublierons bientôt de penser à vous pour ne plus penser qu'à nous !
Ah ! On nous l'avait bien dit et redit : la médecine à l'américaine et à la française ... oui, bientôt même combat ! Faire la liste de tous les risques de telle ou telle stratégie thérapeutique, sans discernement pour votre individualité émotive et culturelle, vous faire signer le papier habilement concocté pour nous protéger, oui c'est bien pour notre tranquillité médico-légale, pour les finances de notre assureur, mais ... mais est-ce vraiment bien pour votre tranquillité et la sérénité? Penser à nous avant que de penser à vous, voilà où on nous mène ! Et ne faisons pas mine de résister : nous finirions, menaces et procès à l'appui par rejoindre les médecins résignés.
Mais oui, c'est sûr que le médecin ne pouvait rester le seul maître après Dieu dans son cabinet. Bien sûr qu'il fallait que la société ait un droit de regard et de contrôle sur ses agissements ... .
Oui mais fallait-il changer notre pratique au risque de diluer dans le néant les caractéristiques si précieuses, si intimes, si originales, ce rapport singulier entre le soignant et le soigné qui font le sel de toute consultation ?
Faudra-t-il que nous consultions d'abord notre conseil juridique avant que de dire, de faire ou ne pas faire pour vous ? Faudra-t-il que nous délaissions l'intérêt de nos chères patientes pour privilégier "notre tranquillité" personnelle ? "Je ne me prends plus la tête maintenant à discuter ou convaincre ou peser le pour ou le contre, me disait il y a peu une jeune collègue. Elles veulent arrêter leur THS, eh ! bien, je leur dis que je suis d'accord je veux pouvoir passer des week-ends sans me miner... !"
Mais ce n'est pas tout : à côté de nos "juristes de la santé" il faut aussi compter avec les nouveaux maîtres à penser de notre métier : j'ai cité ici les épidémiologistes.
Car ce à quoi nous assistons est tout simplement stupéfiant : voici une science par essence imparfaite qui tente la quadrature du cercle : mettre en chiffres, en courbes, en tendances ... ce qui par essence est individuel. La voici qui impose ses conclusions avec comme corollaire non discutable de changer nos modes de pensées, nos comportements thérapeutiques. Une étude impose son diktat jusqu'à ce qu'une prochaine la détrône pour imposer sa propre loi : nous savons cela. Certes la science progresse ainsi et je ne le conteste pas.
Mais la médecine, ce n'est pas l'épidémiologie, c'est plutôt de l'intuition, de l'expérience personnelle, du savoir-faire, de l'écoute, de la souplesse, de l'humilité. Conduire ses consultations exclusivement en pensant aux derniers chiffres de telle ou telle étude, oh! nous y perdrions notre âme de soignant. "L'évidence base médecine", quel terme anglo saxon vaniteux qui nie l'art médical ! Car la médecine est un art et non une entreprise mathématique.
Allez, n'en doutez pas, j'apprécie l'épidémiologie et ... les épidémiologistes qui sont en général des gens charmants et d'agréable commerce. Mais même si je lis aussi régulièrement l'épidémiologie dans le texte et que j'avoue y prendre plaisir et matière à enrichir ma science, je commence tout de même de les trouver bien ... présomptueux et envahissants.
Bon, ces 2 pouvoirs émergents doivent certes exister et prendre leur place dans la constellation médicale. Ils sont à coup sûr parmi les ingrédients essentiels d'une médecine qui va de l'avant. Mais prenons garde qu'ils ne deviennent les règles absolues, qu'ils n'érodent peu à peu nos réflexes de soignants, ne modifient trop nos comportements, ne fassent mourir notre libre arbitre, notre intuition, notre savoir-faire d'artisan médecin.